Cahiers

Capitaine Coignet

Nouvelle édition

Parus pour la première fois en 1851, les Cahiers du capitaine Coignet ont connu à chacune de leur édition un succès comparable à celui des Mémoires du sergent Bourgogne. Ils figurent parmi les témoignages les plus souvent cités sur les guerres de l’Empire.

À l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon, cette édition de poche des Cahiers du capitaine Coignet vient apporter un témoignage saisissant sur ces épisodes marquants de l’histoire de France.

Image de couverture de Cahiers
Collection : Arléa-Poche
Numéro dans la collection : 188
juin 2021
500 pages - 15 €
Dimensions : 13 x 18 cm
ISBN : 9782363082664
9782363082664

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Cahiers

Capitaine Coignet

Je suis né à Druyes-les-Belles-Fontaines, département de l’Yonne, en 1776, le 16 août, d’un père qui pouvait élever ses enfants avec de la fortune.
Mon père a eu trois femmes : sa première lui a laissé deux filles ; il s’est remarié une seconde fois. De cette seconde, il lui est resté quatre enfants : une fille et trois garçons. Le plus jeune avait six ans, ma sœur sept ans. Moi, le cadet, huit ans, mon frère l’aîné, neuf ans. Nous eûmes le malheur de perdre cette mère chérie. Mon père se remarie une troisième fois, donc ; il épousa sa servante qui lui donna sept enfants.
Je ferai le portrait de mon père, le premier braconnier de France : aimable, sobre, n’aimant que la chasse, la pêche et les procès, passant sa vie à la chasse, à la pêche. Enfin, c’était le coq de toutes les filles et femmes de toutes les classes.
De ses trois femmes il lui a été reconnu vingt-huit garçons et quatre filles, ci trente-deux. Je crois que c’est suffisant. Je suis de la seconde femme. La troisième était notre servante. Elle avait dix-huit ans, on l’appelait la belle, aussi au bout de quinze jours elle se trouvait enceinte et, par conséquent, maîtresse de la maison, et vous pensez bien que cette marâtre a pris toute l’autorité de la maison.
Voyez ces pauvres petits orphelins battus nuit et jour ! Elle nous serrait le cou pour nous donner de la mine. Aussi nous avions découvert des pois ronds dans un sac : tout fut mis au pillage. Oui, les coups de bâton ne se faisaient pas attendre. Cette vie durait depuis deux mois lorsque mon père l’épousa : ce fut bien le reste !
Tous les jours, le père revenait de la chasse. « Ma mie, disait-il, et les enfants ? – Ils sont couchés », répondait la marâtre ; et tous les jours la même chose... Jamais nous ne voyions notre père. Elle prenait toutes ses mesures pour éviter que nous pussions nous plaindre. Cependant, sa vigilance fut bien déçue lorsqu’un matin, moi et mon frère, nous trouvant en présence de mon père, les larmes sur nos figures :
« Qu’avez-vous ? nous demanda notre père.
– Nous mourons de faim, elle nous bat tous les jours.
– Allons, rentrez, je vais voir cela. »
Mais cette dénonciation fut terrible. Les coups de bâton
ne se faisaient pas attendre et le pain était retranché. Enfin, ne pouvant plus tenir, mon frère l’aîné me prit par la main et me dit : « Si tu veux, nous partirons. Prenons chacun une chemise et nous ne dirons adieu à personne. »
De bon matin en route, nous arrivâmes à Étais, à une lieue de nos pénates. C’était le jour d’une foire. Mon frère met un bouquet de chêne sur mon petit chapeau, et voilà qu’il me loue pour garder les moutons. Enfin, je gagnais vingt-quatre francs et une paire de sabots. Voilà le premier jour de peine.
J’arrive dans ce village qui se nomme Charmoy, village qui est entouré de bois. C’est moi qui servais de chien à la bergère. « Passe par là ! », me dit cette fille, et, comme je longeais le bois en détournant mes chèvres, il en sort un gros loup qui refoule mes moutons et se charge d’un des plus beaux du troupeau. Et moi qui ne connaissais pas cette bête, et la bergère qui se lamentait et qui me disait de courir ! Enfin, j’arrive au lieu de la scène. Le loup ne pouvait pas mettre le mouton sur son dos ; j’ai le temps d’arriver et de prendre le mouton par les pattes de derrière ; et le loup de tirer de son côté et moi du mien. Mais la Providence est à mon secours : deux énormes chiens arrivent ; ils avaient des colliers de fer et tombent comme la foudre. En un moment le loup est étran- glé. Jugez de ma joie d’avoir mon mouton et ce monstre qui gisait sur le carreau !